Françoise Vimeux est climatologue, et directrice de recherche à l'Institut de recherche pour le développement. Dans cette interview, elle nous partage son expertise sur le changement climatique, nous explique les risques climatiques auxquels nous sommes exposés sur le territoire français, et quelles sont les projections pour l’avenir.
Pouvez-vous tout d’abord vous présenter, mais aussi présenter votre travail au sein de l’Institut de recherche pour le développement ?
Je m’appelle Françoise Vimeux, et je suis climatologue. Je suis directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. Je travaille aussi au laboratoire HydroSciences Montpellier et au laboratoire des Sciences du climat et de l’environnement. Aujourd’hui, mon travail concerne la période actuelle : j’étudie les processus atmosphériques dans les nuages d’orage dans les régions tropicales. En effet, nous avons encore du mal aujourd’hui à obtenir des projections robustes sur le changement des pluies futures dans les régions tropicales . C’est pourquoi il est important de mieux comprendre ces processus, pour mieux les représenter dans les modèles de climat.
Quelles sont les grandes tendances climatiques que vous avez pu constater sur les dernières décennies ?
Il y a plusieurs points : tout d’abord, on entend souvent que le changement climatique s’accélère, ce qui est faux. Le changement climatique sur les 30 à 40 dernières années ne s’accélère pas, il est environ de 0,15 à 0,20 °C par décennie au niveau global, et de 0,3 à 0,4°C par décennie en France. Il n’y a donc pas d’accélération mais, année après année, la température augmente. Les impacts du changement climatique sont ainsi de plus en plus nombreux et visibles. Nous constatons aujourd’hui que les projections climatiques du premier rapport du GIEC de 1990 s’avèrent tout à fait correctes. De ce fait, avec la hausse des températures, les événements extrêmes sont plus fréquents et plus intenses, et nous commençons vraiment à en voir l’impact partout dans le monde, y compris en France.
En revanche, ce que nous avions moins bien anticipé, c’est l’accélération de l’augmentation du niveau des mers. Au XXème siècle, elle était en moyenne de 1,5 mm par an : aujourd'hui, nous sommes à plus de 4 mm par an. Cette accélération de la montée du niveau des mers vient de la fonte de la calotte polaire dans l’hémisphère nord et, dans une moindre mesure, de la fonte de la calotte en Antarctique et des glaciers de montagne.
En France plus précisément, on observe des aléas climatiques plus intenses : feux de forêts, mais aussi épisodes de sécheresse ou tempêtes bien plus fortes qu’auparavant. Que peuvent faire les collectivités pour s’adapter sur leurs territoires ?
Nous devons à la fois nous adapter au changement climatique et réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement. Tout d'abord, nous savons que le réchauffement va se poursuivre dans les 20 à 30 prochaines années, quoi que nous fassions. Nos choix actuels vont avoir des conséquences seulement sur la deuxième partie du XXIème siècle. Nous sommes ainsi obligés de nous adapter, mais l’adaptation seule n’a pas de sens. Les solutions d’adaptation existent, et elles ont été évaluées secteur par secteur dans le rapport du GIEC dédié. Par exemple, de nombreuses solutions existent pour adapter l’agriculture à l’augmentation du risque de sécheresse : gestion des sols et irrigation raisonnées, agroforesterie, nouvelles semences... De même, des solutions sont mises en avant pour l’adaptation des villes aux vagues de chaleur.
Les territoires doivent s’adapter dès maintenant, selon leur spécificité et de manière dimensionnée, sur le long terme aux sécheresses, aux vagues de chaleur et aux possibles pluies torrentielles. Néanmoins, les collectivités doivent aussi mettre en œuvre dès à présent des moyens d’atténuation des émissions de gaz à effets de serre. En effet, l'adaptation n’est possible que pour un faible degré de réchauffement (inférieur à 2°C au niveau global).
Notre mission au sein de Partagence est d’accompagner les personnes sinistrées de catastrophes naturelles, mais aussi de les sensibiliser. Comment faire aujourd’hui pour sensibiliser les citoyens au changement climatique et les inciter à adopter les bons gestes ?
Aujourd’hui, nos initiatives pour s’adapter et atténuer nos émissions sont surtout sociales (au niveau du citoyen, de son éducation, de son comportement), et moins structurelles et institutionnelles. Nous n’avons pas assez de lois, de régulations économiques et de programmes politiques pour organiser tout cela.
Le citoyen est prêt à faire des efforts : mais faut-il qu’il en est la possibilité. Et ces efforts ont un fort impact, car les actions de sobriété de manière générale sont un levier d’action énorme pour réduire nos émissions : de 40 à 70 % selon le secteur. Par exemple, la moitié des émissions de gaz à effets de serre provenant des transports en France sont du fait de la voiture individuelle. Néanmoins, la charge mentale du changement climatique ne peut pas reposer uniquement sur les individus : il faut vraiment une organisation à tous les niveaux pour inciter les citoyens à faire des efforts, et que cela ne soit pas vécu comme une punition en mettant en exergue les co-bénéfices à vivre différemment.
En votre qualité de climatologue, vous avez une bonne lecture et une bonne analyse des tendances en matière de climat et surtout en matière de changement climatique. Est-ce qu’un ralentissement du changement climatique est encore possible aujourd’hui ?
Les résultats sont très clairs : il est encore possible aujourd’hui de limiter le réchauffement climatique. Les politiques publiques actuelles nous conduisent à un dépassement des 1,5 degrés au niveau global dans les premières années de la décennie 2030-2040, pour arriver à environ 3 degrés d’augmentation en 2100.
Mais nous avons encore la possibilité de limiter cette hausse : si nous diminuons drastiquement et dès aujourd’hui nos émissions de gaz à effet de serre au niveau global, l’objectif de maintenir le réchauffement à 2 degrés ou en dessous au cours de ce siècle est accessible. En revanche, il faut vraiment prendre des actions immédiates et d’envergure de réduction de nos émissions dans tous les secteurs.
C’est un message fort de souligner que nous avons entièrement la main sur la deuxième partie du XXIème siècle. Et d’ailleurs, certains pays ont déjà stabilisé ou réduit leurs émissions, mais pas encore assez rapidement.
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